Catégorie : Enseignement à distance

J+7: la fierté

Il y a exactement 7 jours, dans le courant de l’après-midi, nous apprenions ceci:

Les écoles ferment, et chaque enseignant organise son enseignement à distance. La décision était attendue.

Ordre de notre cheffe: chaque enseignant gère son enseignement à distance. Le Département fournira des activités sur une plateforme le jour même. Cette information est arrivée en réalité le 17 mars. Les enseignants ont reçu une mission: mettre en place l’enseignement à distance. Chacun pour soi. D’un autre côté, il y a une telle diversité d’approches parmi le corps enseignant et une telle diversité de profils de classes et d’élèves que mettre en place une solution uniforme aurait été une très grosse erreur. La voie de la sagesse, c’était peut-être justement compter sur le génie individuel des enseignants et leur résilience. Qui mieux en effet qu’eux pour connaître leurs classes et élèves?

Il y a donc exactement 7 jours, à l’heure près, mes collègues Shirin, Yves et moi, nous nous retrouvions devant nos écrans pour mettre en place une salle des maîtres virtuelle, prémisse à l’enseignement à distance. On avait envisagé que nos moyens traditionnels de communication (email Educanet2) n’allaient pas survivre longtemps. Ce qui s’est avéré vrai.

Bon… ce n’était pas comme si c’était notre seule plateforme de communication. Nous avons donc perdu tout lien avec notre hiérarchie. Si ce n’est que dans notre établissement, on s’est immédiatement organisé:

  • Mise en place d’un serveur Discord pour les enseignants
  • Récolte des adresses emails privées afin de créer une mailing-list avec des solutions maison et robustes
  • Mise en place de groupes WhatsApp

Nous avons immédiatement décidé de mettre en place un serveur Discord pour les enseignants, parce qu’il s’agit d’un animal très social et l’isolement est difficile à gérer. On a donc voulu mettre en place une salle des maîtres en ligne, avec une fonction vocale, en utilisant un outil simple et à la portée de tous les enseignants. Aujourd’hui, seule une collègue ne s’est pas encore connectée, sur 139. Mais elle devrait nous rejoindre sous peu.

Nous avons ensuite fait l’inventaire des moyens informatiques à disposition des enseignants. Et avons équipé la trentaine qui avaient besoin de matériel récent.

Ensuite, les enseignants ont fait l’inventaire des moyens informatiques à disposition des élèves. Et là, ça a été la douche froide. Le seul appareil numérique sur lequel on peut compter dans la famille est le smartphone. Une partie importante des familles de mon établissement ont déclaré ne pas avoir d’ordinateur/tablette à la maison. Certains n’ont même pas de smartphone à disposition… Nous nous sommes donc résolus à devoir adapter notre enseignement au smartphone.

Les enseignants ont vite commencé à s’organiser, via WhatsApp et Discord. Des élèves ont très rapidement contacté des enseignants, parce qu’ils voulaient travailler (!!!). Certains ont même monté des serveurs Discord et invité les enseignants pour donner cours.

La diversité des pratiques est assez importante, qui dépend aussi de l’aisance des enseignants avec les outils qu’ils utilisent. Dans les grandes lignes:

  • Blog Scolcast ou WordPress, afin de mettre à disposition des élèves des documents, vidéos, liens…
  • Utilisation de plateformes pédagogiques (notreclasse.ch, rallye-lecture.fr, matheros.fr…
  • Plans de travail fournis aux parents par email/WhatsApp. Les élèves travaillent sur papier, photographient le résultat et renvoient le tout par WhatsApp/Messages.
  • De nombreux enseignants parmi les plus grands ont ouvert des serveurs Discord. Cela permet un partage rapide et simple des documents et surtout un enseignement présentiel audio.

Je reviendrai sur Discord dans le prochain article…

Dès mercredi, de nombreux enseignants ont commencé à enseigner à distance. Avec une assez bonne réponse des élèves. Certains collègues sont même des génies de la bricole pédagogique! Comme ma collègue, ici, qui m’a autorisé à partager la vidéo qu’elle m’a envoyée:

Je constate qu’il n’y a pas de bonne ou mauvaise solution. Chacun son outil à ses besoins. Surtout, il va y avoir une montée en compétence MITIC tant des enseignants que des élèves. C’est une opportunité de donner un vrai coup d’accélérateur au plan numérique de notre cheffe du département. Plus que jamais, cela montre la pertinence et le besoin de ce plan dans l’école vaudoise. Cela va prendre du temps pour que tout se mette en place. Ce ne sera jamais « comme en classe ». Mais le travail réalisé par les enseignants de mon établissement est incroyable. Leur foisonnement d’idées et leur résilience aussi. Ils sont très nombreux à se découvrir des compétences en informatique qu’ils ignoraient. La nécessité fait foi. Aujourd’hui, je suis fier de mes collègues. Fier aussi des élèves qui répondent massivement présents. Le message a été: « on ne vous abandonne pas! ». Et merci à tous les parents qui se sont manifestés pour nous remercier ou pour se proposer de nous aider.

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Ecole à distance J+5: une pause s’impose

Bilan de ce cinquième jour: notre créature nous échappe. De nombreux collègues créent des serveur Discord pour leur équipe pédagogique, voire pour leur classe, avec la bénédiction des parents. Et cela se multiplie dans les établissements. A ce jour, il n’y a pas meilleur outil, ou outil plus simple.

Pour ceux qui râlaient que les enseignants allaient de nouveau être en vacances: nous avons l’obligation de fournir un service de garde pour les enfants du personnel médical ou d’autres parents, selon des critères stricts. Le nombre d’enseignants qui se sont portés volontaires est largement supérieur aux nombre nécessaire. C’est cela, un enseignant vaudois: il fera passer vos enfants avant tout le reste. Chers parents: ayez confiance dans les enseignants.

Nous équipons petit-à-petit notre boîte à outils, avec aujourd’hui un tutoriel destiné aux enseignants, pour apprendre à utiliser la solution de visioconférence Zoom.us.

Le département nous a bien rappelé de faire respecter la loi fédérale sur la protection des données… mais sans nous rappeler ce qu’elle implique, quelles sont les règles et quelles plateformes ne sont pas autorisées. Quand sa maison brûle, la première chose que fait notre employeur, c’est d’aller vérifier ses polices d’assurance incendie…

Enfin… il a tenté de nous le rappeler; parce que la plateforme institutionnelle que le canton a mandaté pour nous fournir nos adresses email, Educanet2, est tombée plusieurs fois durant la journée. La plupart des emails que nous avons reçus sont finalement arrivés vers 21h30… plusieurs heures après l’envoi.

Cela valide le choix de la plateforme Discord pour échanger entre enseignants; c’est notre seul canal qui tient debout.

Ce soir, d’un commun accord, Shirin, Yves et moi avons décidé de faire un pause. On a cessé de travailler activement pour le déploiement de l’enseignement à distance. Mais on est resté sur notre Discord à discuter, débrider, avec quelques bières/verres de vin. Un retour à l’humain qui est le bienvenu. Je vis 19 à 20 heures par jour depuis 5 jours là-devant:

Shirin, Yves et moi, on se rend compte qu’on a des compagnons/compagnes, des enfants et de la famille qu’on doit aussi privilégier. Alors dès demain, on va planifier de manière précise nos permanences, afin de libérer ceux qui ne sont pas de garde.

Mais la première chose, ce sera de nettoyer mes plans de travail, claviers et souris… et accessoirement de prendre une douche!


Ecole à distance J+5: les doutes

5 jours… Voilà maintenant 5 jours qu’avec Fred et Shirin, nous sommes sur le pont et l’adrénaline commence à descendre… C’est difficile…c’est difficile car je ne suis pas que responsable informatique et je pense à mes élèves et je me sens coupable car je n’ai pas encore vraiment eu le temps de m’occuper d’eux. Heureusement ils sont habitués depuis le début de l’année à travailler de manière autonome avec le numérique à la maison et visiblement ils continuent à le faire sans s’inquiéter de la suite car comme le dit une de mes élèves dans un message vocal reçu: « Yves, on sait que vous avez toujours une solution. »

Ce qui est difficile aussi, ce sont les sollicitations permanentes et il est difficile parfois de penser à soi. Aider nos collègues c’est aussi aider les élèves de notre établissement, c’est aussi de manière indirecte apporter du soutien aux familles de notre commune. Je commence à sentir la fatigue mentale s’ajouter à la fatigue physique. Ce qui me fait tenir actuellement, c’est la formidable solidarité que je vois apparaître entre les collègues, le soutien de notre direction mais aussi le soutien des communautés d’enseignants numériques. Le soutien est permanent et les remerciements aussi.

Je ne compte plus les messages de remerciement reçus mais, ce soir, à l’aube d’un repas bien mérité, je voulais juste une fois dire MERCI à vous d’être à nos côtés. Prenez soin de vous et de vos proches.

Yves


Ecole à distance, J+4: le plan

Voici le plan d’action:

La vidéo est volontairement très cadrante. Shirin Yves et moi, nous sommes là pour donner une boîte à outils. Les enseignants vont prendre dans cette boîtes pour commencer les outils qu’ils savent utiliser. Pour le moment, c’est massivement WhatsApp et l’email. Par la suite, ils vont sans doute se rendre compte qu’il leur faudrait un nouvel outil. Nous serons alors là pour les aider à apprendre à l’utiliser.

Maintenant, il faut que l’infrastructure tienne le coup. On a vu hier que le réseau Swisscom est à la peine. Discord patine durant la nuit, lorsque les USA sont réveillés.

Framasoft est surchargé:

Nous entrons en territoire inconnu et il va falloir que l’infrastructure soit aussi résiliante que la population.


Ecole à distance, J+3: les doutes

Cette note sera plus personnelle. J’espère du reste que mes deux collègues s’exprimeront aussi sur ce canal pour partager les émotions.

Tout ce week-end, on a peu dormi et on a surtout fait ce pour quoi on est fait: geeker. De tout temps, on a été formé par les jeux de rôles/jeux vidéo à survivre aux fins du monde/fins de la civilisation/invasions zombie/invasions robot/invasions extra-terrestres. Donc autant dire qu’on était dans notre élément, face à nos (nombreux) écrans, avec assez de bière et de caféine pour tenir une bonne partie de la nuit.

Aujourd’hui, convocation par la direction, pour décrire notre stratégie d’enseignement à distance. Et ensuite, on se retrouve face à certains collègues. Et là, on se rend compte qu’on n’est pas dans un jeu, mais qu’il y a 158 enseignants et plus de 1300 élèves et le double de parents qui comptent sur nous. On se rend compte aussi que ce sont peut-être des collègues, mais tout d’abord des amis. Et qu’on est en train de se faire nos adieux pour plusieurs semaines.

C’est idiot, mais je n’ai pas dit aux collègues de prendre soin d’eux et de leurs proches. Je leur ai dit: avant de partir, prenez une rame de papier, on risque de ne plus en trouver. Le sens pratique pour cacher l’émotion.

Je pense aussi aux collègues du CIPEO et de la Direction Pédagogique, qui doivent être sur les dents pour gérer tout ce qu’informatiquement, cela va impliquer, de faire l’école à distance. A Ecublens, mon école, on est un peu des corsaires, on aime notre indépendance et on en profite. Je pense là à tous les établissements sans réel RI (responsable informatique), sans direction à même de donner un cap.

Nous sommes trois RI et personnes ressources MITIC à Ecublens. Notre direction nous a donné plein pouvoir pour la mise sur pied de l’enseignement à distance. Et a posé la carte de crédit Gold sur la table. C’est une grande marque de confiance, mais aussi une énorme responsabilité.

On se démène comme des fous depuis trois jours. Notre sang est exclusivement composé d’adrénaline et de caféine. Puis on reçoit cette vidéo. Et là, on n’a plus aucun doute: on va tous y arriver! L’EPS Ecublens va sortir grandie de cette épreuve!

Merci Cécil et Aline. On vous adore!

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Ecole à distance, J+2: Le bilan (positif!) de cette journée

Trois enseignants partagent avec vous leur vie et la manière dont ils vont, tant bien que mal, mettre en place un enseignement à distance dans leur établissement.

Il est 22.30. Nous terminons un week-end marathon. Les nuits furent courtes, voire inexistantes pour certains. Vos responsables MITIC sont néanmoins toujours sur le pont.

Il est 22h30. Dimanche soir, début de la fin du monde. 15 enseignants sont encore connectés sur le chanel Discord ouvert pour maintenir un lien entre enseignants et communiquer horizontalement. En 12 heures, la quasi totalité du corps enseignant, soit presque 110 enseignants, a installé, créé un compte et découvert Discord. Cela valide le choix de la plateforme et surtout le besoin d’offrir un espace de communication.

A ce sujet, c’est le premier point positif que je mets à notre actif: l’équipe MITIC a décidé de communiquer immédiatement, de montrer qu’on est au travail et que les choses bougent. On a refusé de laisser les enseignants tourner en rond après le choc de l’annonce de vendredi après-midi. Il fallait impérativement donner du grain à moudre aux enseignants: un questionnaire à remplir (fait par la quasi-totalité du corps enseignant en quelques heures), le contact à prendre avec les parents et faire l’inventaire des moyens informatiques des élèves, créer un compte Discord et découvrir la plateforme… Nous avons mis en place une communication ferme, mais bienveillante. Et le résultat est là: c’est le week-end, mais une dynamique positive s’est mise en place. Les enseignants jouent le jeu et, on l’a vu, les parents, dans leur très grande majorité, aussi. Et pourtant, nous sommes dans un milieu parfois qualifié de « pas facile ». En ce moment, les enseignants ont réussi à prendre contact avec pratiquement tous les parents et élèves.

Il y a encore du travail. Mais nous savons aujourd’hui qu’on va réussir. Même les enseignants qu’on appelle affectueusement les « dinosaures » ont répondus à l’appel. En informatique pédagogique, on utilise beaucoup la métaphore du crayon:

Aujourd’hui, tout a été décalé d’un cran. Les affûtés deviennent des initiateurs. Les effaceurs sont devenus au moins des figurants, voire directement des acteurs. La baguette magique s’appelle la conscience professionnelle. En ces temps d’adversité, on ne va pas laisser les élèves au bord de la route.

Maintenant, il ne faut pas tomber dans l’angélisme. Le retour du questionnaire sur l’équipement informatique privé des enseignants dresse un tableau assez terrible. Nous avions demandé si les enseignants disposent, à titre privé, d’un ordinateur de 5 ans ou moins (c’est-à-dire une machine assez récente pour utiliser tous les outils professionnels de l’enseignant). Le constat est affligeant: 35 enseignants sur 139 n’ont pas d’ordinateurs de 5 ans ou moins. Beaucoup n’ont simplement pas d’ordinateurs tout court. Ou alors un Mac sous Mac OS 10.9… Un quart des enseignants de notre établissement vaudois n’ont pas un outil informatique à un niveau suffisant. Et le Département compte investir des millions dans l’éducation numérique pour les élèves, quand un quart des enseignants n’ont pas un outil de travail informatique digne de ce nom. On a même une poignée d’enseignants qui n’ont pas de connexion à Internet. Au mieux, ils ont un partage de connexion avec leur téléphone portable… et pas forcément des données illimitées. On va devoir composer avec cela.

Pour ce qui est du manque de matériel, on va piocher dans les ordinateurs portables de l’école pour équiper les enseignants qui ont en besoin. Pour ce qui est des connexions à Internet, chaque enseignant devra faire avec ce qu’il a à disposition.

Demain, nous avons rendez-vous avec notre direction, pour valider tout ce que nous avons mis en place. Nous communiquerons alors notre plan d’action aux enseignants… et ici.


Ecole à distance, J+2: la communication entre enseignants

Trois enseignants partagent avec vous leur vie et la manière dont ils vont, tant bien que mal, mettre en place un enseignement à distance dans leur établissement.

Mise à jour 17.00

Une salle des maîtres, c’est à la fois un lieu de travail, d’échanges professionnels, mais aussi d’information, de discussion, de rires, de cris et de pleurs. C’est un lieu de catharsis indispensable à tout enseignant. Et la solitude sera le plus grand défi à relever pour eux ces prochaines semaines.

Nous, nous avons besoin d’une plateforme d’information et de support, afin d’épauler les enseignants. On a instinctivement choisi la plateforme Discord, utilisée par les gamers pour échanger. Elle est à la fois simple, gratuite, multiplateforme et on peut la subdiviser en divers salons. Elle supporte aussi les discussions vocales à plusieurs.

Nous avons donc mis sur pied un serveur Discord. Et la preuve que les enseignants ont besoin de se retrouver, c’est qu’à peine trois heures après l’envoi du mail expliquant la démarche, comment télécharger Discord et avec l’adresse du serveur, plus de la moitié du corps enseignant s’est connecté.

Dès mardi, Shirin, Yves et moi allons assurer une permanence technique aux heures de bureau. Nous nous relaierons, pour qu’à tout moment, l’un de nous soit disponible pour aider les enseignants.

Structure de notre serveur Discord

Le second volet du support informatique sera d’utiliser TeamViewer, pour pouvoir prendre le contrôle des ordinateurs des enseignants à distance et les aider, si besoin.

Nous allons être très stricts; afin de ne pas se perdre entre les mails, WhatsApp, les téléphones,… dans la mesure du possible, le support se fera sur Discord.

Mise à jour: 7 heures après l’envoi de l’email contenant les informations pour se connecter à la plateforme Discord, plus de 80 enseignants sur 139 l’ont rejointe. Une première réunion vocale d’enseignants de 7e s’est tenue. Les outils que nous mettons en place dans l’urgence, les habitudes que les gens prennent vont très certainement perdurer après la crise. Les collègues apprennent aux forceps à collaborer en ligne, à devoir intégrer le numérique dans l’enseignement. Et c’est le bon côté de cette crise: il y aura un avant et un après au niveau de l’école. De même au niveau de l’ambiance. Cela soude les enseignants, les élèves et les parents. Un esprit de solidarité se met en place.

Dernier point: le Département annonce que des outils en ligne vont être mis progressivement en place.


Ecole à distance, J+2: ça va le faire!

Trois enseignants partagent avec vous leur vie et la manière dont ils vont, tant bien que mal, mettre en place un enseignement à distance dans leur établissement.

Dimanche matin. Un poil tôt. Après deux nuits courtes et bien des heures de boulot, voici à quoi nous en sommes. Premièrement, je me rends compte que plus que des réserves de pâtes ou de riz, je suis content d’avoir un gros stock de café. Bon, venons un peu au bilan de la journée d’hier…

La logistique

C’était notre premier axe à traiter.

A disposition:

Nous avons fait la liste du matériel rapidement mobilisable: une centaine de Mac portables et une centaine d’iPad. Au niveau infrastructure, le site de l’école (https://www.ecoles-ecublens.ch) est la porte d’entrée de l’information aux parents. Mais impossible de l’utiliser pour de l’enseignement à distance: géré au niveau cantonal, nous n’avons pas d’accès pour l’utiliser comme plateforme d’hébergement de contenus pédagogiques. Nous allons donc nous rabattre sur le « site parallèle » de l’école, http://ecub.info, qui est sur un hébergement privé, puissant. Nous allons si besoin aussi mobiliser le site du cours fac de journalisme, le1024.ch, qui est sur un puissant hébergement Infomaniak. Comment feront les établissements qui n’auront pas ces ressources? Mystère.

Définir les besoins des enseignants

Pour faire de l’enseignement à distance, il faut que les enseignants disposent à domicile du matériel informatique adéquat. Nous avons donc commencé par envoyer un email à tous les collègues pour faire l’inventaire du matériel informatique dont ils disposent à domicile, via un sondage:

Nous avons demandé de remplir ce sondage avant ce dimanche, 18h00. Samedi, en fin d’après-midi, la quasi-totalité du corps enseignant a répondu (130 sur 139!). Cela montre l’engagement des enseignants. Face à l’adversité, ils répondent présents! C’est de bon augure pour la suite.

Quant aux résultats, ils n’ont rien d’étonnant! 34 enseignants sur 139 ne possèdent pas à domicile un Mac ou un PC de 5 ans ou moins, donc une machine qui pourrait être utilisée professionnellement.

Voilà le résultat du choix du Département de ne pas équiper les enseignants, ou du moins de financer partiellement leurs outils de travail. Un enseignant est censé trouver un ordinateur sur son lieu de travail, dans les salles des maîtres. Mais comme ce sont des lieux que nous devrons éviter à l’avenir. Cette politique se retourne contre notre employeur.

Nous avons donc prévu, mes deux collègues et moi, de proposer à la direction d’équiper ces collègues avec les portables récents de l’école, le temps de la crise. Les modalités devront naturellement être discutées.

Le matériel des élèves

Un rapide sondage fait auprès de nos élèves montre que dans un nombre non-négligeable de famille, le seul outil numérique à distance est le smartphone. Il n’y a ni tablette ni ordinateur. Le directeur a envoyé un mail aux enseignants leur demandant de prendre contact avec les parents pour lister le matériel à disposition des élèves. Il a ainsi anticipé ce que nous avions prévu de faire lundi. Parfait. Reste à trouver quelle réponse donner à ce manque d’équipement. En tous cas, nous avons décidé de partir du principe que nous devrons adapter notre enseignement à distance à l’usage du smartphone. Quitte à décider d’équiper certaines catégories d’élèves avec le matériel qui reste à notre disposition.

Et ensuite?

Là, il y a un mur. Et on vient de le percuter. Ces dernières années, le CIPEO et le département nous ont interdit l’utilisation de pratiquement tous les outils d’enseignement et de communication en ligne: WhatsApp, Showbie, Socrative… soit on nous interdit l’installation des applications, soit on nous interdit l’usage parce que les données ne sont pas hébergées en Suisse. Tout en ne nous offrant absolument aucune alternative.

Alors, on fait quoi, maintenant? On passe en force? Ce le choix que feront à coup sûr la plupart des écoles, n’ayant aucune alternative pour le moment.

Mais dans l’immédiat?

Mes collègues et moi devons relever l’énorme élan de solidarité que ce choc a créée: des enseignants se sont spontanément proposés pour nous aider. Nous avons pu tester plusieurs solutions avec eux. De même pour certains élèves, qui se sont portés volontaires.


Ecole à distance, J+1: l’opération « Grand Condor »

Trois enseignants partagent avec vous leur vie et la manière dont ils vont, tant bien que mal, mettre en place un enseignement à distance dans leur établissement.

C’est fait. Le gouvernement vaudois a décidé de fermer les écoles dès ce 13 mars, et ce jusqu’au 30 avril. Cela fait 6 semaines, moins deux de vacances. Mais loin d’être envoyés se bronzer à Rimini, les enseignants sont mobilisés et doivent assurer un enseignement à distance.

Soyons clairs et mettons les points sur les « i » une fois pour toutes: on nous demande de mettre en place en quelques jours ce que notre employeur n’a pas réussi à faire en 15 ans. On n’a même pas un portail pédagogique. Quand on sait qu’une demande d’application prend parfois plusieurs mois à être validée par le CIPEO (pour ma part, j’ai une demande en cours depuis 5 ans…), on va se passer de leurs services et nous devenons officiellement un établissement informatiquement autonome. Nous avons donc lancé l’opération « Grand Condor », parce que parfois, on a l’impression que notre employeur nous prend pour des buses.

Voilà ce que notre cheffe de département a présenté, lors de la conférence de presse du 13 mars:

Tous les lieux de formation sont fermés jusqu’au 30 avril. L’enseignement se fera à distance.

Déjà vendredi matin, l’ambiance était électrique. Nous savions que quelque chose se tramait. De nombreux enseignants ne comprenaient pas que les écoles restent ouvertes et nous étions nombreux à avoir commencé à récolter les numéros de téléphone portable des élèves au cas où. Nous avons appris la nouvelle vendredi en début d’après-midi. Et soyons honnêtes: si on a été soulagés, on a tous été sous le choc de l’ampleur de la mesure et de ses conséquences pour les élèves.

Nous sommes trois responsables MITIC dans l’établissement: Shirin, Yves et moi.

Le directeur nous a immédiatement prévenus que nous étions convoqués lundi matin 16 mars pour mettre en place les mesures d’enseignement à distance pour l’établissement.

On s’est rapidement mis d’accord sur le fait qu’il fallait arriver lundi matin avec des réponses et des solutions concrètes. Shirin enseigne en 1-2P, Yves en 5-6P et moi au secondaire. On a donc une vision assez complète des spécificités de chaque tranche d’âge de nos élèves, des programmes… mais aussi de nos collègues et de leurs compétences informatiques. Ce qui suit sera, sans tabou, la manière dont nous avons pris en main ce problème.

1. Mettre en place un canal de communication

Cela est apparu comme une évidence: on lance un serveur Discord. Yves est un utilisateur habituel de ce canal, pour ma part je ne l’ai jamais vraiment utilisé. Shirin la découvre. Mais c’est la plateforme idéale: des salons de chat écrits et vocaux. C’est aussi le canal que mes élèves et moi avons choisi pour rester en contact, car c’est une plateforme qu’ils utilisent.

On s’est rapidement mis en vocal. En effet, cela permet d’échanger vocalement tout en libérant le clavier pour travailler, prendre des notes, et avancer dans le projet.

2. Définir les axes principaux

Comme point de départ, nous avions quelques idées griffonnées:

A partir de là, l’objectif a été de dégager les axes principaux, à savoir les questions auxquelles nous allons devoir apporter des réponses. Définir ces axes va permettre aussi de définir les priorités et donc dans quel ordre les traiter:

Voici donc l’ordre dans lequel nous avons défini le traitement de ces axes:

En résumé:

  1. La logistique: quel matériel à disposition. De quoi disposent les enseignants? Et les élèves?
  2. La communication: quels canaux de communication allons-nous mettre en place entre les enseignants et entre les enseignants et les parents/élèves.
  3. Le choix des logiciels/plateformes.
  4. La formation des enseignants à l’utilisation de ces outils.
  5. Enfin, nous devons garantir autant que possible la protection des données des élèves.

La réponse donnée à chacun de ces points va avoir des conséquences sur les points suivants. Il est donc capital d’avoir une réponse claire avant de passer au point suivant. Cela évite de se disperser dans toutes les directions.

3. Gérer l’équipe

Gérer une équipe de geeks, à distance, ce n’est pas donné à tout le monde. Surtout qu’en général, c’est souvent le bordel dans nos têtes. On peut heureusement compter sur les compétences organisationnelles d’Yves pour cela. Il a été formé à la gestion de crise et est volontairement très cadrant. Avec un peu de recul, il est capital qu’un membre de l’équipe ait ce rôle de modérateur et que les autres acceptent ce recadrage. Il faut impérativement laisser les ego au vestiaire et agir avec méthode.

4. Rassurer les enseignants

[Note: cette partie a été rajoutée après la réouverture des écoles]

Le vendredi, dernier jour d’école, nous avions senti une angoisse forte parmi les enseignants, avant l’annonce de la fermeture. La situation était tendue. Dès lors, l’une de nos premières actions, avant de communiquer avec les enseignants, a été de choisir un référentiel positif et rassurant. Comme on partait (littéralement!) à l’aventure, on a décidé de le faire sous l’image des Cités d’Or, et de ses trois héros. Il n’y a rien de puéril derrière cela, mais plutôt une petite « astuce psychologique »… C’est un dessin animé qui a marqué positivement l’enfance de la plupart des enseignants. Ce faisant, on posait un cadre rassurant et connu, en ajoutant une touche d’humour décalé. C’était à la fois un appel aux enseignants pour embarquer dans l’aventure, tout autant qu’un « doudou » rassurant. Pendant 6 semaines, nos visages devenaient nos avatars. Nos interactions sociales n’étaient qu’en ligne. Il fallait donc que le « visage » que nous offrions soit le plus positif possible.